Le football, la défaite et le romantisme
- Le 20/03/2015
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Terreau fertile aux reprises de volées lyriques, le football s'est vu paré de tous les qualificatifs possibles et imaginables au moment de le décrire. ''Romantisme'' revient souvent dans la bouche de ceux qui préfèrent conter les milles histoires d'un match que compter les statistiques qui en découlent. On pense de suite à Séville 82, à l'Ajax, plus encore aux Oranjes de la même époque, au Brésil de Télé-Santana et de Socrates, à la Hongrie de Puskas. Plus récemment, le Barça de Pep fut décrit comme tel également avec un tel engouement. Malgré tout, en grande majorité, c'est une belle bande de perdants que voilà. Alors que faut-il en conclure ?
La défaite est-elle inhérente au romantisme ? Avant de décrire les romans tel que Twilight ou 50 nuances de Grey, le romantisme était un vrai style, centré sur l'individu qui devait affronter un monde, une nature, une société, un Dieu trop grand pour lui. Cette idée non pas d'infériorité mais de combat perdu d'avance, d'être dépassé par les événements, de lutter sans grand espoir mais avec valeur est le vrai socle de la chose. Et c'est pour ça que tant d'équipes ayant perdu sont décrites comme romantique. Mourir pour ses idées, c'est beau. Garder son style de jeu dans la défaite, c'est héroïque. Le garder dans la victoire, c'est simplement logique. Le vainqueur est talentueux, le perdant romantique, honneur donné comme une juste récompense aux perdants, qui ne peut décemment pas repartir sans rien, sans compliment ni excuse. Seule la victoire est belle. Pas le vainqueur. Il est plus fort, plus technique, plus rapide, plus réaliste même, mais il n'est pas plus beau. Aucun vainqueur n'atteindra le charme et la légende des Oranjes de 74, du carré magique de 82 ou du onze d'or hongrois.
La défaite a bien plus de potentiel mythologique que la victoire. Déjà, elle est unique. Toute grande compétition se perd par définition sur un match. C'est aussi pour cela que la coupe du monde marque, en plus de sa rareté, bien plus les esprits qu'une ligue des champions. Pas d'éliminations suite à deux nuls, pas de match retour pour faire mieux ou au contraire pour risquer de se faire rattraper. La phase finale est une phase létale, où tout se rejoue à chaque match. Et une seule défaite suffit. Que retenir de 98 ? La finale oui bien-sûr, mais nous étions au dessus, ce n'est pas là qu'on gagne la compétition. Alors la demie, avec le doublé de Thuram et ce premier but encaissé dans le jeu ? Certes, ce fut un grand match. Mais le quart de finale, parlons-en. Celui où on élimine les italiens qui ont formé notre ossature, où l'élève dépasse le maître, où ils disent ''avoir accouché d'un monstre'' ? Quoi que le huitième de finale nous lance véritablement, et puis ce but de Laurent Blanc, tout un symbole non ? Que retenir de 82 ? La demie face à l'Allemagne, point. La où les victoires sont légions, la défaite elle est unique, et attire de fait toute l'attention.
Mais surtout, la défaite laisse libre cours à l'imaginaire. La victoire est concrète, brute, réelle. Elle ne nous donne jamais autant que ce qu'on le voudrait, et surtout elle s'avère de passage. L'enflammade finit par s'estomper, le vainqueur par être déchu, et le temps par passer. Ne reste qu'une ligne sur un trophée, une cassette VHS des yeux dans les bleus, et des souvenirs éparpillés. Seule la défaite est éternelle. Séville 1982 est bien plus évoqué que l'euro 1984 tout entier. Et pourtant, la chevauchée de Tigana, Platini et ses neuf buts, la bourde du gardien espagnol, le premier grand trophée international du foot français, il y aurait tant à dire. Mais avec Séville, il y a tant à imaginer, sans limite. C'est cela qu'on se lègue de génération en génération de footeux, des rêves, des imaginaires, des pensées. Bien plus que des faits. La tristesse a de plus ce besoin de se partager, d'être dite et entendu, bien plus que le bonheur égoïste qui n'appartient qu'à nous. Si les chanteurs pleurent plus l'amour qu'ils ne l'honorent, c'est bien qu'on pense ou que l'on souhaite que personne ne peut aimer comme on aime, être heureux autant que nous, ressentir ce que l'on ressens, alors que l'on est toujours rassuré de voir que d'autres partagent nos souffrances, nos peines, et nos doutes.
Royaume de l'imagination donc, la défaite nous permet de fantasmer le football et ce qui en découle qui aurait eu lieu si elle avait été victoire. ''Si le Brésil ou la France l'avait remporté en 82 ou 86, le football aurait été différent à jamais'' ont tendance à dire les nostalgiques. Moins robotisés, moins pragmatiques, moins défensifs. Personne ne pourra jamais le savoir, mais on aurait tendance à parier que non. Ce n'est pas la défaite de 82 qui a poussé la France à être défensive en 98, mais simplement le nombre de joueur à ce poste, leurs talents les faisant aller en Italie, meilleur championnat de l'époque, tourné vers la tactique et la mesure du risque. En réalité, le football de club, bien plus fréquent, influent d'avantage le football qu'aucune sélection ne pourra jamais le faire. L'Ajax comptait trois coupes d'Europe avec son football total lorsque les Oranjes pratiquant le même style se sont fracassé sur l'Allemagne. Il est difficile à croire qu'une victoire aurait à ce point révolutionné le football. Depuis l'avènement des coupes d'Europe, les vrais révolutions viennent des clubs, que ce soit Amsterdam donc, mais aussi de Milan de Sacchi, le libéro Beckenbauer, ou l'Inter d'Herrera. Non le carré magique français, même vainqueur en 82, n'aurait rien révolutionné au football. Car il était trop épisodique, dans un monde déjà braqué sur la ligue des champions les soirs de semaines se renouvelant chaque année.
C'est pour cela également que la plupart des équipes grandement romantiques sont des sélections nationales, c'est que leur défaite signifie une occasion manqué pour au moins quatre ans. La défaite de Barcelone face à l'Inter en 2010 ? Pff, ils la regagneront en 2011. Le romantisme naît de la rareté, du moment légendaire manqué et non pas de la simple opportunité qui reviendra l'année suivante. L'Histoire du football n'est pourtant pas rancunière avec ceux qui se permettent de manquer les moments qu'elle leurs proposent, et retiendra toujours ces héros malheureux, ces perdants magnifiques, ces artistes préférant être défaits que déchus. Alors le romantisme est-il uniquement le fruit de la défaite ? Non, mais c'est bien là où il est le plus savoureux, le plus exquis et le plus demandé.